Trame de fond
Photo : Belle Ile , B. Huaulmé
Rester là, perdre corps.
Se livrer.
Il attend. Il ne veut rien entendre que ce grand escogriffe d’arbre, tout poilu, en face de sa fenêtre. Il regarde le ciel bleu, blanc, selon la demi-heure. Il n’arrive pas à se décider. Et des nuages en forme d’hommes qui nagent, de vagues silhouettes passent sans vouloir déranger. Il ne veut rien entendre que cet arbre, qu’il regarde obstinément. De temps en temps, une tourterelle ou un corbeau vient s’accrocher à la cime, défaillante. Et puis il
rentre
dans
son
rêve
C’est si voluptueux de sentir qu’on oublie son corps en le sentant pourtant bien là, languide. Parfois l’ankylose le surprend. Il s’éveille. Il est dans les livres.
Le ciel
mes livres
les livres
mon ciel
murmure-t-il
Tout est immense et bleu. Il y a de la magie, dans cet assoupissement irréel. Il entre parfois dans la fabrique, le mystère caverneux du livre. Il capte en écho ses inframots, comme on capte des infrasons. Le texte ne se méfie pas, et il l’entend à son insu, tâtonner vers son devenir. Certaines ombres de ces avant-mots se déposent ici et là sur l’espace sableux de sa mémoire. Elles s’assombrissent dans un dernier murmure, deviennent denses, prennent corps, sédimentent bientôt n’importe comment, là au fond.
Un magma nouveau affleure, lignes tissées fin, aux accents réfractaires à tout changement irréfléchi. C’est là, au creux de l’île, dont l’ancrage en lui est indélébile, là que s’imprègne le tout premier texte. Ecrire, c’est descendre le chercher parmi les ombres, le réinventer, le réinviter au monde, tout droit remonté du néant fossile. Quand il
sera
éveillé
totalement
il aura
tout
oublié
Île.
Il attend la vague du désir d’écrire. Comme à la mer. Parfois, il la prend mal, pleine face, et il a un goût amer qui déchire la gorge. Silence rêche. C’est comme le désir des corps. On veut jouir, on croit que oui, oui, ça vient et on a mal pris la vague. Rien.